J'aime bien dire que je suis retournée en prison parce que ça me rappelle de bons souvenirs, si on peut le formuler ainsi, de mes deux stages passionnants en maisons d'arrêt où j'enseignais plus ou moins la bureautique à des détenus pas forcément très lettrés. Depuis, je dis à qui veut l'entendre que c'est important de s'intéresser au milieu pénitentiaire, parce qu'"On peut mesurer le degré de civilisation d'une société en visitant ses prisons" comme l'a dit Fedor Dostoievski (note de l'auteure : si on peut mesurer la culture d'une personne en constatant sa capacité à écrire les noms russes je suis mal barrée).
Portée par cet intérêt, je n'ai pas hésité longtemps devant la possibilité d'aller visiter l'hôpital pénitentiaire situé près de mon boulot, avec des collègues de mon département d'épidémio des maladies infectieuses.
Photo piquée ici.
L'entrée dans l'hosto m'a surprise car nous y avons été peu contrôlés : nous avons certes déposé nos papiers d'identité au guichet de l'entrée et avons dû abandonner nos téléphones portables dans de petits casiers, mais nous ne sommes passés dans aucun détecteur. En fait, les surveillants ont choisi de nous faire confiance. A raison, je ne trimballe pas des sabres ou des téléphones intelligents reliés à internet dans mon soutif. Je n'aurais même jamais eu l'idée d'apporter de la gomme à mâcher à mes élèves. J'avais juste apporté une ou deux fois des bouquins à la bibliothèque des détenus sans demander d'autorisation, cela ne fait pas de moi une vilaine fille. D'ailleurs cet hosto en aurait ptêt eu besoin, de bouquins, car j'ai trouvé la mini-étagère aperçue dans le couloir du service contre la tuberculose assez pauvre.
Évidemment, même avec cet entrée gentillette, j'ai remarqué les clôtures barbelées qui mettent dans l'ambiance, et les portes à verrous partout. Il n'y avait en revanche pas de centrale de surveillance pour gérer les mouvements comme dans les prisons où j'ai bossé, et nous n'avons croisé des détenus que dans le service "ouvert" de psychiatrie, ce qui me donne avec le recul l'impression d'avoir au début visité la prison vide d'un dessin animé Lucky Luke (mais sans Rantanplan, note de Dômeu).
Nous avons commencé notre aprèm' par un exposé du médecin chef sur les prisons en général, et la santé des détenus en particulier. Je pense qu'il me faut ici souligner deux points spécifiques. Le médecin a bien insisté sur le fait qu'on prive les détenus de liberté mais que la médecine pénitentiaire, elle, se doit de leur permettre d'exercer leur droit à des traitements normaux. Ensuite, les détenus forment une population avec des caractéristiques épidémiologiques particulière, avec par exemple une forte prévalence de l'hépatite C, des dépendances aux drogues... Je crois que ça s'appliquerait en France aussi.
Le médecin qui nous a causé était passionné par son boulot. J'ai tendance à croire que c'est difficile d'en arriver là si on ne l'est pas. Je ne pense pas qu'on choisisse par défaut d'exercer la médecine ou les soins infirmiers dans un tel contexte, d'ailleurs cet homme a confirmé ma suspicion qu'il est difficile de recruter du personnel pour ces endroits, malgré une récente revalorisation salariale.
Il nous a beaucoup éduqués, nous a raconté des anecdotes amusantes ou pas... Comme ce détenu qui s'est enfui à la sortie de l'hôpital en demandant d'aller aux toilettes avant d'être menotté, s'enduisant intelligemment les poignets de savon. Ou comme ce cliché du torse d'un patient toxico qui utilisait une seringue évidemment dégueu. Il avait au bras un pansement sur une plaie due à ses piqûres, qui m'a fait penser au pauvre protagoniste de Requiem for a dream.
J'ai du mal ici à choisir entre le terme de "détenu" et de "patient" quand j'écris dans ce blog, alors même que le médecin qui nous a guidés a bien insisté sur son choix de vocabulaire : ses patients sont des patients, pas des détenus. Il nous l'a redit devant un patient d'ailleurs, que nous sommes allés voir dans sa cellule d'isolement dans le service psy : une pièce vide avec simplement un matelas fixé au sol et des toilettes bien accrochées. J'étais gênée que nous allions le voir, à l'entrée de sa pièce, mais le médecin lui a auparavant expliqué qui nous étions et lui avait demandé son autorisation en nous précisant qu'il était habitué à ce genre de visites, et qu'il avait de lui-même choisi, comme il le fait de temps en temps, d'aller dans cette pièce où un infirmier l'enferme alors, calant devant la porte un réveil sur une poubelle pour que le patient le voit par la fente de la porte. Il m'a fait de la peine, à cause de ses troubles psys l'envoyant là.
Nous avons vu trois services : un couloir d'accueil et diagnostic vide avec ses différentes salles d'attente permettant de séparer les personnes d'une même affaire ou de sexes différents et ses appareils de bonne qualité selon le médecin s'adressant à mes collègues médecins, le service accueillant les patients atteints de tuberculose, et le service ouvert de psychiatrie. C'est là que nous avons croisé des patients, que j'ai sans surprise trouvés assez peu énergiques et peu curieux en comparaison avec les détenus de "mes" prisons. C'est sans doute quelque chose qui contribue à mon impression à la Lucky Luke dans la prison vide : l'endroit était particulièrement calme. Cela doit bien péter de temps en temps, mais là, la tranquillité était de mise.
J'ai demandé à mes collègues médecins s'ils se verraient bosser là, l'un y avait déjà pensé, mais tous trouveraient cette ambiance d'enfermement pesante. Nous n'étions donc pas fâchés d'en sortir, sous un ciel de circonstance, nuageux, avec un air très lourd. J'aurais maintenant une pensée pour le boulot admirable de cet hosto quand je regarderai dans la bonne direction de mon bureau même si je ne verrai pas les bâtiments trop lointains, et je continuerai à rêver comme un bisounours qu'un jour nos sociétés auront des prisons quasi-vides parce que les malades psys et les toxicos seront traités avant qu'ils ne déraillent, que tout le monde grandira dans de bonnes conditions*, et que les plus grandes méchancetés connues seront de se moquer des chaussettes dans des sandales ou de traverser des rues vides alors que le feu est rouge.
* : sauf si, Dômeu, ça implique de devoir adopter un lapin pour l'éducation de nos éventuels futurs enfants. Même lui.
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