mardi 7 avril 2015

Ehemaliges zukünftiges KdF-Bad in Prora (ancienne future station balnéaire de KdF à Prora)

A l'occasion du week-end pascal, Dômeu et moi avons décidé de quitter Berlin quelques jours. J'ai suggéré le bord de la Mer Baltique, et lui s'est souvenu d'un article de Slate évoquant une auberge de jeunesse occupant une petite partie d'un lieu assez particulier à fort intérêt historique : la station balnéaire pour petites gens projetée par les Nazis à Prora, sur l'île de Rügen.

 


Voici une vue aérienne des lieux, présentée dans le centre de documentation que nous avons visité et depuis lequel nous avons suivi un guide - mot qu'on ne traduit plus trop par Führer en allemand mais plutôt par l'anglais guide. Ces gros bâtiments occupent 4,5km de la côte à Prora sur l'île de Rügen.


Avant de partir dans des considérations historiques, je vous fais gracieusement un petit point géographique sur l'île Rügen, qui me permet de renforcer mes faibles connaissances sur mon pays d'accueil - comme si je connaissais mieux pour mon pays d'origine, hum hum. Plus haut se trouve la carte d'Allemagne que nous a envoyée l'association des auberges de jeunesse allemandes lors de notre adhésion. Dômeu et moi avons déjà commencé à passer beaucoup de temps devant cette carte en nous brossant les dents.


Si je zoome, vous voyez Berlin au Sud de ma photo, avec ses frontières violettes. Au-dessous de l'inscription "Ostsee" au Nord du pays, on voit l'île Rügen, ce machin à la forme étrange qui est tout près du continent -- du Bundesland Mecklenburg-Vorpommern. Rügen me semble aussi grande que Berlin, à peu près, et a le mérite d'être accessible par une route et une voie ferrée. Prora est un bled sur la côte Est de Rügen, avec deux gares de TER.

 Le plan de l'île sert également de motif pour les sièges des bus dans lesquels nous avons voyagé !

Youplaboum, maintenant vous savez où est Prora ! Et vous avez ptêt déjà deviné que c'est pas un endroit moche. Les magnifiques paysages de l'île feront l'objet d'un article de blog plus tard, d'ici là croyez-nous sur parole ou faites un tour avec l'ami Google. 



L'idée d'y envoyer des ouvriers et employés pas riches du IIIe Reich en vacances pour leur faire plaisir n'est donc pas sotte. Ainsi, on pouvait projeter d'acheter leur soumission et aussi de les faire se sentir part d'une merveilleuse nation dont les 19 999 autres personnes en vacances au même endroit qu'eux auraient été d'autres dociles représentants. Hé oui, l'objectif des 4,5km de bâtiments construits avant la guerre à Prora était d'y entasser 20 000 personnes, par chambre de deux toute petite mais avec vue sur la mer, avec des lieux communs pour bouffer et s'amuser (comme cette partie qui dépasse sur la plage au premier plan la photo ci-dessus). 


L'organisation chargée de ces travaux d'ampleur était Kraft durch Freude (KdF), La force par la joie, l'organisation de loisirs fondée par les Nazis après avoir dissous tous les syndicats, tué leurs chefs et vidé les caisses. Avec le fric chipé, on a notamment pu financer la construction de la station balnéaire, tout en disant au public que ça coûtait moins cher que ce que ça avait coûté en réalité. Apparemment, construire un lieu de vacances pour y aider la cohésion du peuple et son obéissance n'implique pas d'expliquer au peuple en question qu'on utilise pour cela les fonds recueillis par leurs cotisations à l'époque où ils étaient libres. En effet, ça aurait fait tache. Comme dit Dômeu c'est pas comme si y'avait pas eu d'autres problèmes liés à ce régime, mais autant être complet et rappeler que les Nazis n'étaient même pas une bonne nouvelle pour les ouvriers.

Dans le même genre, KdF organisait des croisières soit-disant pour les petites gens, qui étaient en réalité trop chères pour les petits salaires - sans être toutefois très onéreuses - et aussi tellement prisées que la plupart des places étaient attribuées à de grandes entreprises. Seuls des gens riches ou pas trop pauvres ont donc eu l'honneur de participer à ces croisières. Au petit matin, lever de drapeau, dans la journée des chants partisans... Et des rencontres de navires de guerre étaient même organisées. Tout cela participait bien sûr à la militarisation de la société, en préparation de cette foutue guerre. Malgré cette propagande permanente, les croisières laissaient un très bon souvenir à leurs participants, nous a-t-on dit.



Comme les parties transversales vers la plage n'ont pas été construites, on voit vraiment les bâtiments à l'infini.

Tout ce que je vous raconte nous a été expliqué dans un film explicatif au centre de documentation, puis pendant la visite guidée dehors. Nous n'avons pas eu coeur à lire les affiches pas très stimulantes du musée, qui auraient surtout répété ces deux autres sources. À la caisse du musée l'employée a d'abord cru que nous étions suédois : il faut dire que Rügen est à portée de drakkar pour les mangeurs de kanelbullar. Apprenant que nous étions français, elle nous a donné avec joie un prospectus en français, que nous n'avons pas osé refuser alors même que nous emportons rarement des prospectus de musée. J'ai dit à Dômeu que nous n'avions pas intérêt à le mettre à la poubelle à l'auberge de jeunesse, car les agents d'entretien y seraient ptêt cousins avec cette dame. Je caricature peut-être la vie îlienne. Peut-être.


Pour en revenir à nos Nazis agents de voyages... Notre guide très calme et bavard ressemblait à un pêcheur à pied ou un promeneur avec ses habits sportifs. Qu'on ne s'y méprenne, il étudie l'histoire et la philo et semble bien érudit. Il a bien insisté sur le fait que les bâtiments, certes vite construits, n'ont jamais servi de lieu de vacances comme prévu, étant donné que la guerre a commencé avec l'issue que nous lui connaissons. Il dit qu'en outre, ça n'aurait pas forcément marché. 20 000 personnes en vacances, ça implique un apport de bouffe et compagnie assez énorme par la seule route vers Rügen... et aussi plein de caca à évacuer. Le guide nous a soutenu que les Nazis auraient sans doute mis les eaux usées dans une pièce d'eau assez grande à côté, et que ça aurait mal fini pour la faune, la flore et le nez des gens. Cela me fait penser à Maisons-Alfort, mais là-bas ça sent la levure, pas la crotte [le crottin de cheval également aux abords de l'école vétérinaire, note de Dômeu].

Une des autres personnes de notre groupe de touristes s'est en outre demandé comment ils auraient pu gérer les réservations sans ordinateur. J'ai malheureusement pensé que les Nazis étaient assez doués en gros mouvements de personnes...



Les lieux ont un peu servi d'hôpital militaire, puis de caserne, notamment aux Soviétiques et à l'armée de la RDA. Au-dessus à droite, on voit un mitard. Cela ajoute aux aspects tristes de l'histoire de Prora, comme l'emploi de travailleurs forcés pour les travaux au bout d'un moment.


Après des années à l'abandon, faute de projets et de racheteurs, sans qu'on n'ose détruire plus que quelques tronçons, Prora reprend vie. La protection du patrimoine a levé quelques interdits, autorisant par exemple la construction de balcons, ce qui a motivé des promoteurs immobiliers pour prévoir des apparts de luxe. De ce fait, des morceaux ont commencé à devenir beaux [un coup de peinture, et c'est tout de suite plus joli ! Du moins, sous le grand soleil que nous avions, ndD].


Nous avons vu des débris et projetons de gagner de l'argent en revenant en piquer afin de les mettre sur des cartes postales. Comme avec les bouts de mur de Berlin, sauf que ça serait du mur de Prora authentique.


Juste avant notre auberge de jeunesse, sur du terrain qui lui appartient je crois, il y a une exposition d'art en plein air. Pas bête d'orner ces vieux trucs très laids.




L'auberge en elle-même a ouvert il y a quatre ans. Son ravalement est très propret encore. A l'intérieur, on a plutôt respecté l'agencement des pièces d'époque. Nous avons eu la chance d'avoir une chambre de quatre lits rien que pour nous, ce qui veut dire 5 mètres sur 5 plutôt que 5 mètres sur 2,5.
 


Et comme dans toutes les chambres de l'auberge de jeunesse, la nôtre avait vue sur la mer. C'était prévu par KdF mais si son projet avait vu le jour, la dune et sa végétation aurait été remplacé par un amas artificiel et dénudé de sable. C'est pas comme si les Nazis ne tuaient que des arbres... 


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